Rendre compte de la reconstruction d’une église au XVIIIe siècle : la pose de la première pierre de la nouvelle église des Grands Augustins de Lyon

Une église peut être reconstruite pour de multiples raisons : mauvais état du bâtiment à la suite d’un manque d’entretien, édifice trop petit par rapport au nombre de fidèles (raison expliquant de nombreuses reconstructions d’églises au XIXe siècle), destruction d’une église à la suite d’un affrontement militaire (exemple connu du chef protestant Lesdiguières qui s’empare d’Embrun en novembre 1585 et fait raser deux églises de la ville).

Des changements majeurs rendent parfois nécessaire le réaménagement de l’église. Cela peut être le cas d’une église qui devient un lieu de pèlerinage. La modification du paysage religieux local peut également entraîner une telle opération. L’exemple le plus spectaculaire est celui des lieux de culte simultanés ou mixtes, partagés physiquement entre les catholiques (chœur) et les protestants (nef), à la suite d’une décision royale (Louis XIV). En Alsace, il y en a 123 en 1715 et jusqu’à 159 au cours du XVIIIe siècle à l’image de l’église Saint-Pierre sur l’Hâte de Sainte-Marie-aux-Mines, temple réformé à partir de 1561, redevenu en partie lieu de culte catholique en 1686 après la révocation de l’Édit de Nantes.

Nous allons nous intéresser ici à un exemple lyonnais : la construction de la nouvelle église du couvent des Grands Augustins1. L’ancienne église des Augustins était vétuste. Elle a été démolie en 1755. Une autre église a été détruite en même temps, celle de Saint-Vincent. Une fois cette dernière église rasée, l’emplacement est vendu et le prix de cette vente sert à édifier la nouvelle église des Augustins2. Celle-ci est l’actuelle église Notre-Dame Saint-Vincent (59 quai Saint-Vincent, rive gauche de la Saône). La nouvelle église est dédiée à saint Louis. La première pierre est posée au nom du Dauphin, fils de Louis XV, le 6 septembre 1759, par M. de Montjouvent, doyen du chapitre de la Primatiale, et donne lieu à une cérémonie que nous allons analyser. L’architecte est Léonard Roux, élève de Soufflot. Cette cérémonie fait l’objet d’un procès-verbal daté du 17 septembre 17593. Mais l’édification de la nouvelle église est particulièrement longue4. Après la pose de première pierre, le chantier s’arrête et ne reprend qu’en 17725. L’église ne sera achevée qu’en 17896, année de sa consécration par Jean-Denis de Vienne, évêque titulaire de Sarepta, vicaire général de Lyon7. L’intérieur, réalisé de 1759 à 1789, est de style néoclassique. La nef est couverte d’une voûte en plein cintre et la croisée du transept est surmontée d’une coupole circulaire.

La reconstruction et la pose de la première pierre sont détaillées à la fois dans les Affiches de Lyon du 12 septembre 1759 et dans les Affiches de Bordeaux du 27 septembre 17598. Les Affiches de Lyon expliquent la raison de cette reconstruction : « L’Église du Couvent des grands Augustins de cette Ville, ayant besoin d’être reconstruite, les Religieux de cette Communauté ont fait tous les arrangements pour cette dépense. Ils se sont fixés au plan qu’en avoit fourni Sr. Leonard Roux, célèbre Architecte de cette Ville, à qui ils ont confié la conduite de cette nouvelle construction ». Puisqu’elles s’adressent à un lectorat non-lyonnais, les Affiches de Bordeaux ne fournissent pas autant de détails et se contentent de mentionner la « nouvelle Église » des Grands Augustins de Lyon. Le Dauphin charge l’abbé de Montjouvent de poser la première pierre « en son nom & pour lui », par l’intermédiaire de M. Bouillé, Comte de Lyon, évêque d’Autun, premier aumônier du roi.

La cérémonie a lieu le 6 septembre 1759, « sur les quatre heures après midi ». M. de Montjouvent est accompagné des chanoines-comtes de Lyon, au nombre de 14. L’ensemble de la communauté des Grands Augustins l’accueille. Les Affiches de Lyon précisent qu’« il y fut reçu à la porte par toute la Communauté, à la tête de laquelle se trouvoit le R. P. Provincial, qui lui fit un compliment auquel M. le Comte de Montjouvent répondit ». La dimension solennelle de cet événement est soulignée dans les deux journaux qui précisent qu’il est conduit « au son des timbales, trompettes, tambours & au bruit de l’artillerie » dans l’une des grandes salles du couvent.

Le Dauphin, quoique absent, est présent symboliquement puisqu’ « au fond de cette Salle étoit le Portrait de Monseigneur le Dauphin, sur un Trône & sous un Dais ». Les Affiches de Lyon détaillent l’agencement de la pièce (« Au pied du Trône & à deux marches de l’élévation étoit placé le Fauteuil où devoit s’asseoir M. le Comte de Montjouvent ») et indiquent que les autorités municipales et les représentants des corps et compagnies de la ville sont présents9 (« MM. les Prévôt des Marchands, & Échevins s’y rendirent en Corps, & furent reçus en cérémonie & placés en face du Trône. Les Chefs des Corps & Compagnies de la Ville furent reçus de même & placés suivent l’usage »). Un premier discours est prononcé par le R. P. Cayrel, Religieux Augustin10, « à la louange de Monseigneur le Dauphin ».

La suite de la cérémonie a lieu à l’endroit exact où la future église sera édifiée, avec tout autant de solennité. « M. le Comte de Monjouvent, en Chape & en Mitre, fut conduit sur l’emplacement de la nouvelle Eglise, où l’on avoit préparé un second Trône, & où étoit placé un Portrait de Monseigneur le Dauphin ». La finalité apparaît alors : « Là M. le Comte de Montjouvent bénit la Pierre & récita les Prieres accoutumées ». La première pierre de l’édifice est posée par M. de Montjouvent : « Le Sr. Roux lui présenta alors une Truelle d’argent & du mortier dont il scella la pierre ». Les Affiches de Lyon apportent une précision qui ne se trouve pas dans les Affiches de Bordeaux : cette première pierre est située « sous la colonne faisant l’angle de la partie droite latérale & du Portail de la nouvelle Eglise ». Une planche de cuivre sur laquelle sont gravées les armes du Dauphin et une inscription latine est enfermée à l’intérieur de la pierre. Les Affiches de Lyon en expliquent la raison (« pour conserver à perpétuité la mémoire de cette auguste Cérémonie ») et en donnent les dimensions (« de la hauteur de onze pouces sur sept de largeur »). L’inscription est retranscrite. Seules les Affiches de Lyon en conservent la mise en forme :

Affiches de Lyon, 12 septembre 1759

Alors que les Affiches de Bordeaux ne livrent pas plus d’informations, les Affiches de Lyon apportent plus de précisions. L’inscription est ainsi traduite :

« Louis Dauphin de France, fils chéri du Roi le plus aimé, Prince né pour soutenir le Trône & les Autels, a posé la première Pierre de l’Église des Augustins, par les mains de Marie-Eugène de Montjouvent, Doyen des Comtes de Lyon, l’an de salut 1759.

Jean-Baptiste Flachat, Chevalier de l’Ordre du Roi, Prévôt des Marchands, Pierre-Thomas Gonyn de Lurieu, Camille Dareste, François-Louis Clapasson, Jacques Daudé, Consuls & Échevins de Lyon, étant présents.

Léonard Roux, Architecte.

Par ailleurs, les liens privilégiés entre les Grands Augustins de Lyon et le Dauphin sont précisés : « Les Religieux, pour témoigner leur vive reconnoissance de la faveur dont Monseigneur le Dauphin a bien voulu les honorer, ont fondé à perpétuité, tous les ans à pareil jour, un Te Deum, le Pseaume Exaudiat, avec les Prieres prescrite par l’Église pour la conservation du Roi & de la famille Royale, & ont déclaré que cette Église Conventuelle seroit sous le vocable de saint Louis »11.

La fin du long article des Affiches de Lyon souligne la large portée de cette cérémonie qui « se fit en présence des personnes les plus distinguées de la Ville, & d’un concours prodigieux de Citoyens de tous les Ordres ». Comme il est d’usage lors d’événements importants, la journée se termine par des festivités offertes à la population : « À l’entrée de la nuit les RR. PP. Augustins firent tirer au devant de leur maison un très-bel artifice ». De façon plus originale, les Grands Augustins donnent à voir un modèle réduit de leur église : « Le Modèle en relief de cet édifice est conservé dans une des salles de leur Maison. Ils se font un plaisir de le faire voir aux Amateurs ».

Cette pose de la première pierre est assurément un événement important. Lors de la consécration de l’église, le 4 juin 178912, il y est fait référence, même si trente ans viennent de s’écouler. Lorsqu’on lit l’almanach de la ville pour l’année 1790, on perçoit cette continuité, alors que la Révolution a déjà apporté nombre de changements dans d’autres domaines : « La première pierre en fut posée solemnellement (sic), le 6 septembre 1759, par feu M. de Montjouvent, Doyen de l’Église de Lyon, au nom de Mgr. le Dauphin, fils de Louis XV, & père du Roi régnant Louis XVI, en présence des Prévôt des Marchands & Échevins de cette Ville ; & le 4 Juin de cette année 1789, elle a été consacrée par M. Jean-Denis de Vienne, Évêque de Sarept, & mise sous le vocable de St. Louis, Roi de France, patron de l’auguste Fondateur, ainsi qu’il est constaté par l’inscription posée au dessus de la grande porte de l’Église »13.

  1. Cette église est la seule édifiée à Lyon au XVIIIe siècle. Elle sera agrandie après la Révolution. []
  2. Ces informations sont tirées de Jean-Baptiste Martin. Histoire des églises et chapelles de Lyon, tome 1, Lyon, H. Lardanchet éditeur, 1908, p. 192. []
  3. Bibliothèque municipale de Lyon, Fonds Coste, ms. 262, n° 4. []
  4. Les almanachs de la ville de Lyon sont le témoin de la longueur de ce chantier. Publiés par l’imprimeur Aimé Delaroche sous le titre Almanach de la ville de Lyon, et des provinces de Lyonnois, Forez et Beaujolois, la rubrique “Augustins, appellés (sic) communément Grands Augustins” indique invariablement au fil des années : « On travaille à la construction d’une nouvelle Eglise » (année 1762, p. 37 ; année 1770, p. 38 ; année 1787, p. 41 ; année 1789, p. 41). []
  5. Archives départementales du Rhône, 13 H 73. []
  6. Cet achèvement est dû à Joseph Janin, vicaire provincial des Augustins, numismate réputé et bibliothécaire. []
  7. L’almanach de la ville de Lyon pour l’année 1790 indique à la rubrique “Augustins, appellés (sic) communément Grands Augustins” : « Ils viennent de terminer la construction de leur Église, qui est aujourd’hui un des beaux monuments d’architecture de cette Ville » (Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon pour l’année 1790, Lyon, Aimé Delaroche, 1790, rubrique “Archevêché de Lyon”, p. 41). []
  8. Les deux journaux sont des hebdomadaires. Les Affiches de Lyon, publiées par le libraire Aimé Delaroche,paraissent à partir de 1750 ; les Affiches de Bordeaux, publiées par les frères Jacques et Antoine Labottière,à partir de 1758 (sous le titre Annonces, affiches et avis divers). []
  9. Le registre des délibérations municipales contient un procès-verbal de la pose de la première pierre de l’église conventuelle des Augustins de Lyon, daté du 18 septembre 1759 (Archives municipales de Lyon, BB/326, f. 127). []
  10. Les Affiches de Lyon précisent qu’il est bachelier de la Sorbonne. []
  11. L’église des Grands Augustins est sous le vocable de Saint-Louis jusqu’en 1855. []
  12. Le hasard fait que le jour de la consécration, le 4 juin 1789, est également le jour du décès d’un autre dauphin de France, Louis-Joseph de France, fils aîné de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Cet événement suscita une grande émotion dans le royaume. []
  13. Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon pour l’année 1790, Lyon, Aimé Delaroche, 1790, rubrique “Archevêché de Lyon”, op. cit., p. 41. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Etienne COURIOL (5 février 2025). Rendre compte de la reconstruction d’une église au XVIIIe siècle : la pose de la première pierre de la nouvelle église des Grands Augustins de Lyon. Carnet parodien d'histoire de l'art et d'archéologie. Consulté le 7 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13987


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