Maintenir et conserver, révéler et restituer, remanier et modifier : trois exemples de restauration d’églises romanes du Charolais-Brionnais

Le Charolais-Brionnais est un des territoires bourguignons les plus riches en édifices religieux romans (XIe-XIIe s.). À travers trois exemples, la basilique du Sacré-Cœur de Paray-le-Monial, édifice emblématique du territoire, l’église Saint-Pierre-aux-liens de Varenne-l’Arconce et l’église Saint-Nicolas de Marcigny, récemment restaurées, nous illustrerons les apports de la restauration à ce patrimoine pluriséculaire.

Les campagnes successives, qui ont marqué ces édifices depuis leur protection au titre des Monuments historiques, ont permis le sauvetage de ce patrimoine, parfois confronté à des problèmes structurels menaçant sa conservation. Les restaurations successives ont entraîné des transformations, mais aussi la redécouverte d’éléments non-visibles appartenant à des états antérieurs de l’édifice (fondations de bâtiments antérieurs ou annexes, décor peint, etc.), dont la présentation et la restitution ont parfois été possibles.

Rappel historique sur les trois édifices

La basilique du Sacré-Coeur de Paray-le-Monial

Le monastère est fondé en 973 par le comte de Chalon, Lambert, entraînant l’édification d’une première église (Paray I). À la suite de la donation de l’établissement à l’abbaye Cluny en 999, une seconde église (Paray II) est construite en lieu et place de la précédente. Elle est consacrée en 1004, mais n’est achevée que dans le dernier quart du XIe siècle avec la construction de l’avant-nef. Au XIIe siècle, la priorale est à nouveau reconstruite. Bien qu’inachevée, Paray III est un édifice d’une valeur inestimable, notamment par la filiation architecturale importante qu’elle présente avec la grande abbatiale de Cluny, érigée entre 1090 et 1130. L’ancienne priorale est classée aux Monuments historiques par liste en 1846 et érigée en basilique par le pape Pie IX en 1875.

La basilique a connu plusieurs campagnes de restauration marquantes :

  • Une première campagne par l’architecte Eugène Millet de 1856 à 1860, amenant d’importantes interventions sur l’avant-nef et le clocher,
  • Une campagne de travaux intérieurs dans les années 1930, sur la volonté du curé Dargaud,
  • Une nouvelle campagne de restauration intérieure entre 1999 et 2007, dirigée par Frédéric Didier, Architecte en chef des Monuments historiques (ACMH).
La basilique de Paray-le-Monial et son cloître – © R. Millet/PCB
L’église Saint-Nicolas de Marcigny

L’église faisait partie d’un ensemble architectural, aujourd’hui en grande partie disparu, celui du prieuré clunisien de moniales de Marcigny, fondé par l’abbé Hugues de Semur vers 1055. Ce prieuré était double, abritant à la fois une communauté de moniales et une communauté de moines qui avaient pour rôle d’y assurer la liturgie. L’établissement comportait donc deux églises, une pour chaque communauté, Saint-Nicolas était l’église réservée aux moines, qui devint ensuite l’église paroissiale principale de Marcigny à partir de la fin du XVIIe siècle.

L’édifice est construit vraisemblablement dans la deuxième moitié, voire le dernier tiers du XIIe siècle, puis agrandi dans le deuxième quart du XIXe siècle (dates précises non-connues) par l’ajout de deux collatéraux. Après l’abandon d’un projet de reconstruction complète en 1864, l’édifice est conservé et connaît d’autres transformations : la suppression d’une maison appuyée contre la face ouest du collatéral nord et la reconstruction du mur mitoyen aux deux constructions en 1903, la reconstruction de l’abside dans les années 1930 et celle du clocher en 1986-1987. La partie centrale de la façade ouest, datant du XIIe siècle, est inscrite aux Monuments historiques le 29 octobre 1926.

En 2022 et 2023, les façades du bâtiment ont connu une campagne de restauration conduite par Frédéric Didier, ACMH.

L’église Saint-Nicolas pendant les travaux de 2022-2023 – © Commune de Marcigny
L’église Saint-Pierre-aux-liens de Varenne-l’Arconce

L’église est fondée en 1045 par Artaud de Briant et sa sœur Ingelburge, Varenne relevant alors de la seigneurie de Briant, avant de faire l’objet d’une donation au prieuré de Marcigny en 1094 (église, terres et dîme)1. L’église avait deux fonctions ; une fonction paroissiale et une fonction monastique attestée par deux sources, un acte antérieur à 1088 signalant l’existence d’un « claustrum » (cloître) et un acte postérieur à 1130 mentionnant « Robertus, prior de Varennis ». L’édifice actuel est construit dans la première moitié du XIIe siècle et classé aux Monuments historiques par liste en 1878.

L’église a elle aussi connue des campagnes de restauration marquantes :

  • Une première campagne menée par l’architecte Antonin-Paul Selmersheim entre 1882 et 1885, comprenant des interventions notables sur la maçonnerie des contreforts, du portail occidental et du clocher,
  • Des travaux de mise hors d’eau de l’édifice réalisés en 1999 et une campagne de restauration intérieure démarrée en 2023, le tout dirigé par Frédéric Didier, ACMH.
L’église de Varenne-l’Arconce – © J.-P. Gobillot

Maintenir et conserver

Les travaux de restauration répondent à la nécessité de préserver et de transmettre les édifices aux générations futures dans un souci d’intérêt public. L’objectif est de permettre à l’édifice de perdurer dans le temps, de traverser les siècles et d’être transmis aux générations suivantes, en tant qu’élément de patrimoine, dont la « conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public »2. Les premiers types de travaux susceptibles d’assurer cette conservation sont ceux qui concernent la stabilité structurelle de l’édifice afin d’empêcher sa ruine.

La restauration de l’avant-nef de Paray-le-Monial par Eugène Millet

Dans les années qui suivirent l’inscription de la basilique sur la liste des Monuments historiques, la municipalité réunit les fonds nécessaires à la restauration de l’édifice. Des travaux sont menés de 1856 à 1862 par l’architecte Eugène Millet (1819-1879), ancien élève de Viollet-le-Duc et membre de la commission nationale des Monuments historiques. Les travaux de Millet concernent principalement la restauration de l’avant-nef et du clocher central, élément sur lequel nous reviendrons. Le premier niveau de l’avant-nef, composé de deux travées et divisé en trois vaisseaux voûtés d’arêtes, était muré depuis le milieu du XVIe siècle. Les piles recevant la retombée des voûtes présentaient un tassement dû au poids de l’étage supérieur (chapelle haute) et des deux tours de façade. Les travaux ont donc consisté à rouvrir le porche et à construire de nouveaux supports, notamment les deux piles centrales, dont le noyau est réalisé dans un matériau plus dur que le calcaire, le granit d’Ambierle (Loire).

Vue de l’avant-nef de la basilique de Paray-le-Monial, notamment d’une des piles centrales en marbre d’Ambierle – © PCB
Les campagnes de restauration de Varenne-l’Arconce

L’église de Varenne-l’Arconce connait elle aussi des problèmes structurels au XIXe siècle, alors qu’au fil des deux siècles précédents seuls quelques travaux de charpente, de couverture et d’enduit avaient été réalisés3. Un siècle plus tard, lors du conseil municipal du 19/07/1874, le maire explique que « l’église et surtout le clocher […] menacent une ruine complète et demandent les plus urgentes réparations. En effet les petites voûtes des collatéraux sont profondément lézardées ; les arcs doubleaux correspondant à ceux de la grande nef se sont ouverts et les clefs de voûtes dépassent l’arc […] laissant au dessus d’elles un espace vide, et ce mouvement correspond extérieurement au mouvement des contreforts dont le sommet surplombe la base de plus d’un décimètre, et ces contreforts n’ont plus la résistance convenable ; les pierres taillées qui les forment sont complétement disjointes […]. Quant au clocher, les murs ont été ébranlés par le beffroi […], et le mouvement des cloches en fait tous les jours disjoindre les pierres ; les arcs des fenêtres se sont ouverts et les clefs de voûte sont descendues. »4.

Les travaux conduits par Antonin Selmersheim entre 1882 et 1885, supervisés par Gabriel Rotival, architecte à Charolles, vont principalement consister à réparer et renforcer la structure du bâtiment, notamment en reconstruisant des contreforts à ressauts présentant une saillie supplémentaire de 30 cm par rapport aux contreforts d’origine, en reprenant les arcs doubleaux et les piles de la nef et en rejointant les murs intérieurs et extérieurs et les voûtes.

Dessin de l’église de Varenne-l’Arconce par Antonin Selmersheim, avant sa restauration, 1878, Arch. dép. 71
Vue actuelle de l’église de Varenne-l’Arconce avec les contreforts à ressauts contre le mur sud de la nef – © Fédération européenne des sites clunisiens

En 1999, des travaux, conduits par l’Architecte en chef des Monuments historiques, Frédéric Didier, permettent de renforcer la sauvegarde du bâtiment par sa mise hors d’eau, avec une reprise des couvertures, le rejointoiement de certaines parties de l’édifice (la base des murs extérieurs ou fondations étaient endommagés par suite de l’abaissement du niveau de sol extérieur consécutif au déblaiement de l’ancien cimetière qui entourait l’église) et l’aménagement de l’évacuation des eaux pluviales.

La façade romane de Saint-Nicolas

La partie romane de la façade de l’église Saint-Nicolas correspond à la partie centrale de cette façade, surmontée d’un petit clocher entièrement refait en 1986-1987. La façade présentait de profondes altérations/érosions du parement en pierre de taille, des corniches et cimaises (éléments saillants censés protéger la façade des eaux de pluie), ainsi que des voussures et du décor sculpté des colonnes, pilastres et chapiteaux du portail principal (encadré de deux arcatures aveugles). Ces dégradations étaient dues au vieillissement de la pierre, aux atteintes de la pollution liée à la circulation automobile devant l’église et aux effets d’un traitement de la pierre au silicate au XIXe siècle.

Vue de la façade de l’église Saint-Nicolas avant restauration – ©PCB

La restauration du parement a consisté à retailler les faces des pierres sur une profondeur de 3-4 cm. La façade a donc été légèrement désépaissie, mais cela a permis de conserver 80 % des pierres d’origine, alors que le « remplacement des pierres selon les modes opératoires courants » aurait entraîné « une perte quasi intégrale de la matière authentique de cette façade ». Le projet a également consisté à un nettoyage de la façade, notamment des parties sculptées, par micro-sablage à basse pression ou micro-abrasion (projection à grande vitesse d’un abrasif à l’aide d’air comprimé, permettant la suppression de la couche superficielle de la pierre) et leur consolidation au silicate d’éthyle (liquide appliqué sur les pierres de nature poreuse et entraînant un durcissement et un caractère plus imperméable du matériau), un rejointoiement au mortier de chaux et une reprise des moulures avec ajouts de couvertines en plomb pour en assurer la durabilité.

Remanier, modifier

Eugène Viollet-le-Duc est le premier à élaborer une véritable doctrine de la restauration : « Le mot et la chose sont modernes. Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné »5. Un parti-pris qui laisse une place à la vision de l’architecte, en charge de la restauration, à son interprétation du monument et donc à une part de création. À cela s’ajoute l’idée de corriger, d’effacer les transformations éventuelles de l’édifice, intervenues au fil de son histoire : « Chaque édifice ou partie d’édifice, doit être restauré dans le style qui lui appartient non seulement comme apparence, mais comme structure. »

Néanmoins, cette doctrine fut dès l’époque de Viollet-le-Duc, contestée, car beaucoup défendent également la nécessité de conserver au monument son authenticité. Au XXe siècle, plusieurs chartes, dont celle de Venise (1964)6, fixent des principes universels de restauration : un projet basé sur une étude approfondie du bâtiment menée par une équipe pluridisciplinaire, une restauration possible a minima d’éléments disparus mais dont l’existence est avérée par des preuves scientifiques (la restauration s’arrête « là où commence l’hypothèse », art. 9), le respect des différents apports historiques au fil de l’histoire du monument, considérés de même valeur (et non la recherche d’une unité de style comme le souhaitait Viollet-le-Duc), la visibilité et la réversibilité des interventions.

Les clochers de Varenne-l’Arconce et de Paray-le-Monial

Le clocher de Varenne s’élève aujourd’hui sur un niveau aveugle et deux niveaux de baies. A l’origine, le clocher comportait 3 niveaux de baies, le dernier niveau ayant disparu à une date inconnue au cours d’un incendie et ayant été remplacé par un étage plus modeste simplement percé de baies rectangulaires, comme en atteste un dessin de Selmersheim réalisé en 1878. Le projet de l’architecte comprenait donc la reconstruction du 3e niveau dans un style identique au 2e niveau, éclairé de baies géminées, afin de se rapprocher de ce qu’il estimait être l’état d’origine de l’édifice, en tout cas de lui redonner une unité de style. Finalement, Victor Ruprich-Robert, alors inspecteur en chef des Monuments historiques, rejette la proposition au motif que les deux piles de la croisée du transept étaient trop faibles pour supporter le poids d’une telle construction. L’argent qui était destiné à cette opération – provenant d’un legs du curé de la paroisse – fut utilisé pour construire une tourelle d’escalier permettant un accès plus aisé au clocher (auparavant accessible par une échelle). Néanmoins, l’unité stylistique fut rétablie par l’abaissement du clocher et la suppression du 3e étage postérieure à l’époque romane7.

Le clocher principal de la basilique de Paray est de forme octogonale et s’élève sur trois niveaux. Au moment des travaux conduits par Eugène Millet, le dernier étage du clocher est ajouré de grandes baies gothiques en arc brisé, divisées par un réseau composé de deux lancettes trilobées, surmontées d’un quadrilobe. L’ensemble était couvert d’un dôme érigé en 1810. Millet fit le choix de remplacer le niveau gothique, du XIVe siècle, par un niveau de style néo-roman, percé de baies géminées, et de substituer au dôme une flèche à 8 pans et égouts retroussés, afin de lui donner un aspect semblable au clocher de l’eau bénite, seul clocher subsistant de la grande abbatiale de Cluny.

Le décor en trompe l’œil de la façade de Saint-Nicolas

La restauration de 2021-2023 a amené la création d’un nouvel élément, relevant d’une volonté de création ; la réalisation d’un décor en trompe-l’œil sur la façade aveugle du bas-côté nord, en réponse à la façade du bas-côté sud ouverte par un portail de style néo-roman : « […] nous préconisons en sus la réalisation d’un décor en trompe l’œil reprenant l’ordonnancement du portail néo-roman symétrique. […] Ainsi, sans tromper le public, et dans un souci de réalisme économique combiné avec une réelle volonté de mise en valeur, la façade principale de l’édifice trouvera enfin un certain équilibre tout en respectant les strates de l’histoire, explique Frédéric Didier dans le dossier de demande d’autorisation de travaux. » Cette réalisation correspond à l’idée d’équilibrer, d’harmoniser l’ensemble des façades de l’édifice.

Vue du décor en trompe-l’œil de la façade ouest du bas-côté nord de l’église Saint-Nicolas – ©PCB

Révéler et restituer

Les campagnes de restauration des édifices romans du Brionnais ont également offert l’opportunité d’études archéologiques (archéologie du bâti/analyse des maçonneries8 et fouilles) qui ont permis la révélation d’éléments jusqu’alors invisibles (éléments de décor, murs d’anciens bâtiments) et un enrichissement de la connaissance des édifices. Les travaux de restauration sont l’occasion de révéler ces éléments temporairement, mais aussi parfois de les présenter à nouveau au regard des visiteurs, de les restaurer, voire d’en restituer un aspect complet si cela est possible.

Les découvertes à la basilique de Paray-le-Monial entre 1998 et 2005

La basilique avait de nombreux secrets à révéler. Durant les travaux réalisés dans les années 1930 déjà, l’enlèvement des enduits et badigeons sur les murs intérieurs de l’édifice visant à « redonner à l’église sa beauté primitive » avait permis de mettre à jour la fresque du XVe siècle ornant la voûte en cul-de-four du chœur (Christ en gloire entouré des symboles des quatre évangélistes). De nombreuses autres découvertes ont été faites lors de la campagne de restauration menée entre 1998 et 2005, qui avaient donné lieu à trois campagnes de fouilles du sous-sol d’une partie du chœur (travée droite), du transept et de la nef et deux campagnes d’archéologie du bâti facilitée par la présence des échafaudages9.

Plusieurs éléments majeurs de connaissance du monument ont été révélés.

Les fouilles ont permis de mettre à jour les fondations de Paray II, église qui a précédé l’édifice actuel et dont la construction a été consécutive à la donation du prieuré à l’abbaye de Cluny par le comte Hugues de Chalon en 999. L’existence d’un édifice antérieur était jusqu’alors attestée par les sources (notamment la mention de sa consécration en 1004) et par la conservation de l’avant-nef, dont l’antériorité était notamment visible par des défauts de raccordement avec la nef de l’édifice actuel. La découverte de plusieurs fragments de maçonneries du XIe siècle, correspondant aux fondations de Paray II, sous le sol actuel de la basilique a permis d’en restituer le plan. Il s’agissait d’un édifice long de 39 m, composé d’une nef unique (vraisemblablement charpentée au regard de l’épaisseur des murs et de l’absence d’éléments de contrebutement), d’un transept dont les bras ouvraient sur deux absidioles, et d’un chœur divisé en trois vaisseaux formés de deux travées droites et d’absides semi-circulaires (chevet à chapelles alignées).  L’avant-nef y fut accolée dans le dernier quart du XIe siècle.

Les fouilles ont également permis de retrouver le pavement médiéval, à 30 cm sous le pavement actuel (dallage du XVIIIe siècle), composé de carreaux de terre cuite, de forme carrée, de couleur jaune et noire, dessinant des motifs de chevrons, de damiers ou de losanges et marquant des cheminements, des circulations liées à la liturgie, ainsi que des sépultures et quelques objets relatifs à la vie quotidienne des moines.

Enfin, l’archéologie du bâti a permis d’établir le phasage et la datation précise de la construction de Paray III, qui s’étale sur une longue période, environ un siècle, du premier quart du XIIe siècle (avec le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes) jusqu’au premier tiers du XIIIe siècle (avec les parties hautes de la nef, présentant des chapiteaux à crochets de style gothique, et du bras sud du transept).

La restitution du décor extérieur de Saint-Nicolas de Marcigny

Une carte postale du début du XXe siècle, montrant la place des halles de Marcigny, avec l’église Saint-Nicolas en toile de fond, atteste que les murs extérieurs des collatéraux (ajoutés dans la première moitié du XIXe siècle) étaient couverts d’un enduit et d’un décor en faux-appareil. Avant la restauration, ce décor avait disparu et la maçonnerie était recouverte d’un enduit en ciment gris, peu esthétique et surtout altéré par l’humidité, ce matériau empêchant la respiration du mur. Le projet, conduit par Frédéric Didier, a donc consisté à remplacer l’enduit existant par un enduit traditionnel à la chaux hydraulique (pour les soubassements) et aérienne10 et à restituer le décor de faux appareil en créant des faux-joints en creux, ensuite peints avec la technique de la peinture à fresque. Comme l’explique Frédéric Didier dans le dossier de demande d’autorisation de travaux, « ce choix est dicté par la volonté de reconsidérer […] l’intégration esthétique des élévations latérales avec l’architecture romane d’origine mais aussi de respecter le parti voulu à l’origine pour ces extensions très simples, qui présentent une architecture “pauvre“. »

Vue de l’église Saint-Nicolas avec son décor de faux-appareil ornant les murs-gouttereaux des bas-côtés – ©PCB
Les décors peints de l’église de Varenne-l’Arconce

Plusieurs décors peints ont été découverts à la suite de deux campagnes de sondages, menées par Juliette Rollier-Hanselmann en 2004, puis Jean-Remi Brigand en 2018. En dehors du décor actuellement visible, consistant en un badigeon blanc sur les maçonneries et un décor de faux-marbre sur les éléments structurels, réalisés dans la première moitié du XIXe siècle (vers 1839), 5 autres couches picturales ont été découvertes :

  • Un badigeon rosé sur les éléments structurels de la nef et du transept du XVIIIe siècle,
  • Un décor spécifique aux niches situées dans le bras sud du transept du XVIIe siècle,
  • Deux litres funéraires du XVIe siècle,
  • Une couche gothique du XIIIe siècle (avec plusieurs personnages dans l’abside et le bras nord du transept et un faux appareil jaune à filets rouges),
  • Enfin, une couche du XIIe siècle (avec personnages aux traits simples, aux pommettes rouges et aux plis de vêtements droits et décor de formes géométriques rouges, tels des losanges), sans doute contemporaine de la construction de l’édifice. 

L’ensemble de ces décors montrent qu’une attention particulière fut portée au fil des siècles sur les parties orientales, alors que le traitement de la nef semble avoir été inexistant ou du moins beaucoup plus sobre jusqu’au XVIIIe siècle. L’ensemble de ces décors était également très endommagé du fait des infiltrations d’eau que le bâtiment a subi pendant des décennies (avant les travaux d’assainissement de la fin des années 1990) : fissures, moisissures et décollements.

La restauration « prévoit la remise en valeur du dernier état de présentation intérieure conçu au début du XIXe siècle […], tout en dégageant, dans le transept et le chœur, des témoins significatifs de la période médiévale […] ». Dans le dossier de demande d’autorisation de travaux sur Monument historique, il est expliqué que la restitution du décor du XIXe siècle dans la nef « s’impose par lui-même et qu’aucune alternative ne semble être défendable », ce décor étant complet (en dehors de quelques dégradations très ponctuelles) et qu’une seule autre phase est connue (celle du XVIIIe siècle) mais « trop parcellaire pour envisager une restitution ». Pour le transept et le chœur, une partie des décors du XIXe siècle seront également restaurés, dans la continuité de la nef, afin de donner une cohérence globale à l’édifice : « la vision depuis l’entrée de la nef ne doit pas être hétéroclite ». Mais plusieurs éléments provenant de phases de décoration antérieures seront également restaurés, bien que des choix de présentation devront être opérés, notamment dans les zones où se superposent plusieurs phases de décor. Ces choix sont en cours, notamment dans le bras nord du transept.

Dans le bras sud du transept, l’emplacement d’une ancienne porte, aujourd’hui bouchée, a également été redessiné dans le cadre du projet de restauration. Cette porte donnait à l’origine accès à l’une des galeries du cloître, situé au sud de l’église. Son existence semble attestée par un acte du XIe siècle (où est mentionné la présence d’un « claustrum ») et par la découverte en 1999 des fondations de deux murs contre le mur-gouttereau sud de la nef, de part et d’autre de la porte de l’agneau pascal qui ouvrait sur une autre galerie. La restitution totale de l’ancien cloître étant inenvisageable, le rappel en peinture de l’emplacement et de la forme de l’ancienne porte du transept devient un moyen qui permet d’évoquer la présence d’un élément disparu, de raviver la mémoire d’un état antérieur.

Mise en valeur de l’ancienne porte du cloître dans le bras sud du transept de l’église de Varenne-l’Arconce – ©PCB

Conclusion

Les différents exemples présentés montrent bien la problématique de la restauration des édifices patrimoniaux qui vise à maintenir leur bon état sanitaire et leur stabilité structurelle au fil du temps, mais aussi à ne pas altérer, à respecter au maximum le matériau et l’état d’origine, dans un souci d’authenticité et d’intégrité. Néanmoins, chaque campagne est confrontée à des limites et oblige à procéder à des transformations et à des choix qui peuvent soulever parfois des polémiques, du moins des questionnements dans l’opinion publique auprès des habitants, des usagers et des visiteurs fréquentant ces lieux, souvent guidés par des conceptions erronées de la restauration et le « mythe » du retour à l’état d’origine. Comme toute chose, les édifices patrimoniaux doivent s’adapter et évoluer pour affronter le temps qui passe. La restauration assure leur transmission aux générations futures, tout en redessinant légèrement à chaque fois les contours de ce paysage monumental.

Bibliographie

  • NICOLIER, Anelise. La construction d’un paysage monumental religieux en Brionnais à l’époque romane. Thèse de doctorat en histoire de l’art et archéologie. Lyon : Université Lumière Lyon 2, 2015.
  • OURSEL, Raymond, OURSEL Anne-Marie. Dossiers de l’inventaire départemental du patrimoine. Archives départementales de Saône-et-Loire [en ligne]. Disponible sur : https://www.archives71.fr.
  • REVEYRON, Nicolas (dir.). Hugues de Semur (1024-1109) : lumières clunisiennes. Doyen Editeur, 2009.

Aurélien MICHEL

Chef de projet "Pays d'art et d'histoire" du Pays Charolais-Brionnais depuis 2009. Guide-conférencier national. Lauréat d'une maîtrise des métiers des Arts et de la Culture (2006), à l'Université d'Artois, et d'un master 2 "Administration et gestion des entreprises culturelles" (2007), à l'Université de Reims-Champagne-Ardenne.

More Posts

Follow Me:
FacebookLinkedIn

  1. La date ne peut être vérifiée, la première source écrite encore existante aujourd’hui et mentionnant la donation à Marcigny datant de 1120 (confirmation de la donation par le pape Calixte II []
  2. Loi du 31 décembre 1913 sur les Monuments historiques, article 1 []
  3. A l’exception du relèvement de « deux pierres servant de clef à deux voûtes d’arcade qui ont baissé d’environ 2 pouces» en 1774. []
  4. Arch. dép. 71, O 2289 []
  5. Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle []
  6. Approuvée lors du IIe Congrès international des architectes. []
  7. Arch. dép. 71, 1T 275 et O 2289 []
  8. Analyse du type de pierre et de mortier, des techniques de taille de pierre, de l’épaisseur et de la forme des joints. []
  9. Réalisées par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales, puis l’INRAP, sous le contrôle du SRA. []
  10. La différence entre la chaux hydraulique et la chaux aérienne est que la première est composée à 20 ou 30 % d’argile, alors que la seconde est fabriquée à partir d’un calcaire beaucoup plus pur (- 5 % d’argile). Elles ne sont donc pas utilisées pour les mêmes usages, l’une étant plutôt utilisée pour les enduits de maçonnerie, l’autre pour les finitions. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Aurélien MICHEL (1 février 2025). Maintenir et conserver, révéler et restituer, remanier et modifier : trois exemples de restauration d’églises romanes du Charolais-Brionnais. Carnet parodien d'histoire de l'art et d'archéologie. Consulté le 7 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/138bm


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.